Fragment XXXXXXXXIX
Lettre XVIII
A toi Muse des muses
Nous nous sommes connus à travers la moire et la plaine blanche. Nous nous ne sommes jamais adressé la parole. Je te cherchais. Tu me fuyais. Tu me retrouvais. Je m’éclipsais. Pourtant nos âmes, à notre insu, se disaient beaucoup de choses. Derrière nos silences respectifs tout un monde se construisait. Ses attentes. Ses espoirs. Ses déceptions. Tout y était. Avions-nous besoin de nommer les choses, les êtres et les événements pour que nous soyons les bâtisseurs de cet empire ? Je t’avais déjà dit que nos cercles nous accompagnaient et nous préservaient jusqu’à la fin de la splendide œuvre. Tu es venue à moi. Je t’attendais. Je t’attendais avec la peur incessante de ne jamais voir se profiler ton ombre. Qu’est-ce-qu’elle était douloureuse et belle cette attente. Dure. Longue saison. J’avais le bout de fil dépendant du cercle. Je l’avais au bout des doigts. Je n’osais le toucher ou le tirer de peur de rompre tout le charme et la magie dont tu es la seule à détenir la clé. Tes mots commencent à résonner dans ma tête depuis quelque temps. Tes mots écrits envers et pour moi commencent à colmater la brèche de ma tête. La fêlure n’est presque plus lézardée. Tu as rompu le silence. Je distingue le jour de la nuit. Mon ombre, perdue dans le désert de Mars le long du Draa comme la folle du Mékong, reprend le chemin du retour. Elle disparait pour réapparaitre dans une sorte d’hésitation légitime. Avant chaque disparition elle me laisse une sorte de talisman énigmatique. Parchemin indéchiffrable qui s’évente avec le sable des dunes. Chaque fois tu es le seul signe que je reconnais de cette écriture. On dirait que mon ombre refuse de me rejoindre tant que tu n’es pas là. Maintenant et depuis que tu t’es manifestée, elle réapparait plus souvent… Ce matin après la nuit qui s’en fut fade, timide, grouillante de cris stridents naquit l’aube. L’aube n’est plus incertaine. Du ciel blême qui me révulsait j’ai entendu le spectre de ta parole. Muse des muses. Je sais. Jai l’intime conviction que nous allons parler de vive voix. Oui. Nous allons parler. Le monde se taira. Nos cercles ne feront plus qu’un. Mon ombre me rejoindra. Je me perdrai en toi. Je veux me perdre en toi. Mon corps se redressera. Je te regarderai dans les yeux. Je m’habillerai de tes mots. Tu te peindras des miens. La ville est trop petite pour notre amour. Le désert nous accueillera. Nous serons la fresque. Elle n’apparaitra que pour ne jamais disparaitre. L’œuvre est là. Inexorable. Indélébile. L’amour triomphera…
(À suivre)
Rachid Daouani
Béni Mellal, le 17 Septembre 2009